En 2020, l’OCDE a classé la France parmi les pays européens les moins enclins à intégrer la ludification dans l’enseignement primaire. Pourtant, plusieurs études menées en Asie et en Amérique du Nord démontrent une progression de 20 % de la mémorisation lorsque des mécaniques de jeu sont incluses dans les séquences d’apprentissage.
Certains établissements scolaires ont instauré des dispositifs de gamification, mais les pratiques restent hétérogènes et leur efficacité soulève encore des débats. Face à ce constat, de nombreux formateurs cherchent à comprendre comment structurer l’intégration du jeu pour obtenir des résultats tangibles et reproductibles.
Pourquoi le jeu suscite-t-il un intérêt croissant dans l’éducation ?
Le jeu s’impose comme un levier d’apprentissage dont les vertus sont abondamment documentées par la recherche en sciences de l’éducation et en psychologie. Dès le plus jeune âge, il façonne notre façon de découvrir, expérimenter, échanger. Lev Vygotsky, référence majeure, voit dans le jeu le moteur du développement et pose les fondations d’une pédagogie active où l’enfant s’approprie ses connaissances en agissant, en imaginant, en collaborant.
Dans les salles de classe, la ludification trouve peu à peu sa place. Les enseignants s’approprient les serious games ou des dispositifs plus informels pour bousculer la routine scolaire. L’UNESCO met en avant quatre axes structurants : apprendre à penser, à agir, à vivre ensemble, à être. Le jeu, sous toutes ses formes, irrigue ces dimensions. Il encourage la socialisation, la résolution de problèmes, la créativité, mais aussi l’autonomie et la confiance en soi.
Cette dynamique s’adapte aux situations. L’apprentissage par le jeu varie selon les contextes : en classe, hors cadre scolaire, dans des environnements informels. Michel Van Langendonckt souligne combien la dynamique ludique façonne la construction de l’individu, tout particulièrement dans la socialisation. En France, même si l’intégration du jeu reste timide, des écoles et organismes de formation professionnelle s’en emparent, convaincus que l’engagement des apprenants ne se décrète pas, mais se stimule.
Pour mieux cerner les apports du jeu, voici quelques points clés :
- Développement des compétences sociales, cognitives, langagières, affectives et physiques
- Diversité des jeux mobilisés : libres, de société, de rôle, à visée pédagogique, numériques
- Impact déterminant du contexte sur la nature et l’efficacité de l’apprentissage
La demande pour des environnements d’apprentissage interactifs prend de l’ampleur : chacun constate que le plaisir, loin d’être superflu, accélère la progression et renforce la mémorisation durable.
Ludification et gamification : quelles différences et quels enjeux pédagogiques ?
On retrouve aujourd’hui la ludification et la gamification aussi bien dans la formation professionnelle que dans l’enseignement ou d’autres dispositifs d’apprentissage. Pourtant, ces deux concepts sont souvent confondus. La ludification consiste à transposer la logique du jeu dans des contextes éducatifs : narration, défis, coopération structurent ici l’expérience. De son côté, la gamification introduit des éléments typiques du jeu, points, badges, niveaux, dans un cadre initialement non ludique, pour stimuler motivation et implication.
Le véritable enjeu pédagogique ne se limite pas à distribuer des récompenses. La force du jeu réside dans la conception réfléchie de dispositifs où il devient un moteur d’apprentissage. Le jeu pédagogique poursuit un objectif éducatif précis. Il s’appuie sur des mécaniques ludiques pour faciliter l’acquisition de compétences : résoudre des problèmes, coopérer, prendre des décisions, expérimenter. Les serious games symbolisent cette rencontre entre univers vidéoludique et formation, à l’école comme en entreprise.
Les attentes des apprenants, analysées par la typologie de Yee et Ducheneaut ou celle de Bartle, révèlent des profils variés : explorateurs, compétiteurs, sociables ou stratèges. Adapter les scénarios à ces profils démultiplie l’efficacité des dispositifs. La gamification, loin de n’être qu’un gadget, devient un levier puissant en digital learning et formation professionnelle, à condition de s’aligner sur des objectifs pédagogiques explicites et de donner du sens à l’expérience.
Des bénéfices concrets pour les apprenants et les formateurs
Le jeu ne se contente pas d’apporter du dynamisme en formation : il bouleverse l’expérience d’apprentissage pour les apprenants comme pour les formateurs. La pédagogie ludique s’appuie sur une dynamique d’engagement renforcée, où la motivation se nourrit de l’intérieur. Les neurosciences le confirment : l’émotion favorise la rétention des connaissances, aiguise l’attention, facilite la mémorisation. Le plaisir de jouer éveille la curiosité, encourage l’initiative et l’effort.
Voici quelques retombées concrètes observées lors de l’intégration du jeu dans les dispositifs éducatifs :
- Stimulation de la créativité : imaginer, tenter, oser dans un cadre qui laisse la place à l’expérimentation.
- Renforcement du travail en équipe et de la collaboration : relever des défis collectifs, partager des stratégies, intégrer l’erreur comme étape naturelle du progrès.
- Consolidation de l’autonomie : chaque apprenant progresse à son rythme, affine sa capacité d’auto-évaluation et de régulation.
La gestion mentale, définie par Antoine de La Garanderie, distingue cinq gestes : attention, compréhension, mémorisation, réflexion, imagination. Le jeu les mobilise souvent simultanément, favorisant une appropriation en profondeur. Céline Clément établit le lien entre pratique ludique et gestion mentale, insistant sur les bénéfices pour la construction de l’identité et du bien-être.
L’utilisation de serious games, de réalité virtuelle ou d’approches immersives rebat les cartes de la formation professionnelle : l’apprenant devient acteur, l’expérience s’ancre dans du vécu. Domaines linguistiques, compétences sociales, gestion des émotions : tous trouvent dans le jeu une terre d’expérimentation concrète. Reste à garder un œil attentif sur les dérives potentielles, en particulier face à l’usage intensif des jeux vidéo.
Intégrer efficacement le jeu en classe : conseils et pistes pour aller plus loin
Introduire le jeu dans les apprentissages ne s’improvise pas. Cela demande des choix mûris, en cohérence avec les objectifs pédagogiques. Enseignant ou animateur, chacun doit composer avec la réalité du terrain, adapter les outils à la diversité des situations et articuler apprentissage formel et informel. La souplesse est de mise : un jeu de rôle éclaire un phénomène social ; une simulation numérique affine des compétences techniques ; un escape game dynamise la collaboration.
Des collectifs comme l’ASBL Média Animation ou Arts&Publics, présentés dans le projet « Pourquoi tu joues ? », ont exploré un large éventail de dispositifs, du jeu de société aux outils numériques. Marie Versele, à travers ses recherches, interroge la place de l’enseignant : facilitateur, médiateur, garant du sens. L’intention pédagogique oriente le choix du jeu, la formalisation des règles, l’accompagnement entre fiction et réalité.
Pour structurer cette démarche, quelques repères s’avèrent précieux :
- Adopter une progressivité : débuter par des jeux simples, introduire progressivement des mécaniques plus élaborées.
- Favoriser la co-construction : inviter les apprenants à participer à l’élaboration des règles ou à imaginer des scénarios.
- Varier les techniques d’animation : combiner jeu, analyse, temps de réflexion partagée.
Les outils du digital learning ouvrent de nouvelles perspectives : plateformes interactives, applications éducatives, réalité augmentée. Bien employés, ils construisent un pont solide entre ludification et acquisition des savoirs. Reste à veiller à un cadre structurant, à une évaluation partagée, et à ne jamais perdre de vue le sens du jeu dans la démarche éducative.
Apprendre en jouant, ce n’est pas simplement ajouter une touche de fun : c’est transformer l’espace éducatif en terrain d’élan, d’expérimentation, d’engagement. Et si la prochaine génération de citoyens se construisait d’abord… sur un plateau de jeu ?

